UN REGARD SUR LE MONDE QUI VIENT
- pgeopolitique
- 8 févr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 mars
(Article tiré d'un journal de la place, paru le 21 mai 2024)
La conjonction des révolutions technologiques et des rivalités géopolitiques actuelles remodèle les fondements de l’ordre mondial et laisse entrevoir une société humaine à l’aube d’une ère nouvelle. Certains y voient l’équivalent des révolutions chrétienne, copernicienne et de l’imprimerie cumulées dont les effets ont totalement changé la face de l’humanité. S’il semble hasardeux de décrire le nouveau monde en voie d’éclosion, des indicateurs pertinents préfigurent déjà ce que ne sera plus demain l’ordre mondial étatique d’aujourd’hui.
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Des observateurs avertis nous décrivent à grands traits le tableau géopolitique d’une société internationale partagée entre un occident et ses satellites d’un côté, et de l'autre côté des puissances émergentes autour desquelles gravitent une constellation d’acteurs qui aspirent à un monde multipolaire. Aux occidentaux nostalgiques de leurs privilèges d’antan qui montrent des dents et n’hésitent pas à mordre pour les défendre, se dresse un bloc des dominés d’hier qui revendiquent une place au soleil. La rivalité entre les deux groupes, contenue en certains endroits et explosive en d’autres, est source de spéculations diverses sur son issue probable si, toutefois, l’utilisation éventuelle de l’atome n’aura pas tout anéanti avant.
La crise ukrainienne, face émergée de cette confrontation, semble devenue le laboratoire dans lequel s’effectue toutes les expériences. La défaite stratégique de la Fédération de Russie est l’objectif ouvertement affiché par les hautes autorités politiques de l’occident collectif et leurs élites intellectuelles. Il y va disent-elles de la sécurité, des valeurs et de la démocratie européennes menacées. Les moyens mobilisés, pour l’emporter, sont à la fois militaires, économiques, financiers, culturels, sociaux, religieux… L’opinion contraire n’a plus droit de cité dans une presse unanime en charge de l’éducation des citoyens sur le bien-fondé de la bonne cause, celle occidentale, de lutte contre les ténèbres. Toute tentative de réelle solution par voie diplomatique est délibérément sabotée.
De l’autre côté, les rodomontades du clan d’en face ne font pas reculer. A bas bruit certes, mais en profondeur, les lignes bougent. En perspectives on discute d’un monde multipolaire débarrassé de l’hégémon, de la condescendance, du suprémacisme ; d’un monde où règneraient un respect réciproque, un équilibre des intérêts et des diversités humaines.
Une fracture si profonde qu’il est laissé peu d’espace aux indécis.
La neutralité interdite
Dans cette lutte épique, le bloc occidental ne s’embarrasse pas d’user de la règle de l’extraterritorialité à l’encontre des Etats qui ne le suivent pas. Les mesures punitives prises devraient être respectées par les tiers. Ainsi, la Confédération Suisse légendairement pays neutre, sommée de se prononcer, a noyé deux siècles de neutralité « perpétuelle » dans un alignement sans équivoque. La voix du Pape, habituellement sacrée est rabrouée sur la place publique lorsqu’elle porte sur le conflit. L’interdiction du système Swift pour les opérations financières vers la Fédération de Russie ferme aussi l’accès aux partenaires de ce pays, mêmes les plus pauvres, utilisant ce moyen pour l’achat de son blé. Des témoignages de participants de Haut-Niveau au sommet Russie Afrique de Saint-Pétersbourg en juillet 2023 nous décrivent des forces obscures qui ont travaillé pour saboter ce grand évènement. Une veille, à l’encontre des Etats tiers, est organisée pour le suivi de l’application des sanctions et un châtiment exemplaire attend ceux qui tomberaient sous le coup du soupçon.
En fait, le lourd passif du bilan des relations interétatiques de l’ordre mondial agonisant milite en faveur de la thèse soutenue par des éminents experts qui ont longtemps dénoncé son iniquité. Sur le plan commercial par exemple, les échanges souvent inégaux, maintenaient un sud désœuvré face à un occident opulent. Par ailleurs, sans rameuter les plaies encore béantes de l’histoire des rapports entre l’occident et les autres peuples, par expérience il est permis d’être réservé sur la portée universelle des valeurs proclamées par l’élite occidentale. Les valeurs dites civilisationnelles qui ont légitimé la colonisation cachaient en réalité un agenda pour lequel les peuples victimes ont payé un très lourd tribut.
Sécuriser l’avenir
S’il est convenu que l’intérêt guide l’homme et que les Etats n’ont pas d’amis, une observation froide de la donne géopolitique actuelle incite à envisager les choses en fonction du temps long et non se contenter de l’aveuglant court terme. A cet égard, à l’attention des Etats ayant des économies extraverties basées sur des ressources naturelles, un géostratège averti les déconseillerait d’encourager un affaiblissement de la Fédération de Russie. Ce pays béni des dieux, avec un territoire équivalent à plus de la moitié du continent africain regorge en son sous-sol d’inestimables richesses naturelles. La mainmise par les occidentaux sur cette manne, le réel mobile en réalité de toute cette animosité, les mettrait dans une situation stratégique qui leur consoliderait une position dominante dont il est certain qu’ils abuseraient sans scrupule.
En effet, il est admis par les grands experts de la science économique que la prospérité occidentale de longue date s’était bâtie, en grande partie, grâce à une énergie à moindre coût importée de Russie : en être privé pourrait sonner le glas des jours heureux. Dès lors, une Russie forte, économiquement tournée vers le nouvel eldorado asiatique et pour de longues décennies découplée du monde européen obligerait ce dernier, au sous-sol stérile, à densifier sa dépendance aux ressources naturelles d’ailleurs. Les bénéficiaires de cette aubaine, dans le cadre des nouveaux équilibres qui se dessinent, seraient logiquement en position plus avantageuse que naguère. Ils tireraient argument pour réexaminer les clauses léonines de certains accords fondés sur les codes d’investissement élaborés jadis sous les auspices parfois de « grands conseillers » venus d’autres cieux : la belle occasion d’asseoir désormais des relations sur de nouvelles bases, plus équitables.
Gérard O.
Expert en relations internationales
Analyste géopolitique
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